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Le droit du témoin à revenir sur le contrat. Comment éviter cette situation

Transcription :

ANNE LAURE : Le témoin dont on cherche à obtenir l’accord pour ensuite réutiliser l’entretien qui a été élaboré, supposons qu’on a obtenu son accord. Soit par un pacte d’entretien au début, éventuellement  modifié après coup, ou on a enregistré en vidéo son accord parce qu’il n’a pas de culture écrite, enfin… on a un accord. On ramène ça, on retravaille sur ces entretiens et puis on décide conformément aux accords qui ont été obtenus, de mettre ça sur une plateforme accessible aux membres de l’association ou à des chercheurs. Et puis il y a un des témoins qui dit « mais au fait, je ne suis plus d’accord. J’ai été d’accord au moment où vous m’avez interrogé, où j’ai témoigné. Oui j’ai signé un papier, mais en fait je me dis que j’en ai trop dit, ça va trop loin ». Cette personne a tout à fait un droit de regard sur l’utilisation qui est faite du témoignage. Dans une certaine mesure, tout est affaire de comment on a procédé. Si on a obtenu un accord formel « oui je vous autorise à mettre ça sur internet, dans le monde entier, sans limite de temps, gracieusement ». C’est clair, elle a signé. Mais est-ce qu’on lui a soumis après coup la vidéo ou l’entretien sonore pour lui faire écouter. Elle s’est confiée, elle a parlé beaucoup, mais peut être qu’elle n’a pas réalisé au moment où elle témoignait de tout ce qu’elle exprimait. Et si on ne lui a pas soumis, fait valider cet entretien, ce témoignage, elle n’a peut être pas pris conscience sur le coup de tout ce qu’elle livrait. Et elle a son droit à la vie privée, et son droit à l’image et son droit sur sa voix, ce sont trois des droits qui légitiment la demande qu’elle peut exprimer en disant « je vous ai dit oui formellement, mais je me rends compte après coup que je vous en ai beaucoup trop dit et je demande que vous supprimiez ça, ça et ça. » Si on ne lui a pas fait valider l’enregistrement dans lequel elle a témoigné, elle va pouvoir revenir formellement sur l’engagement formel qu’elle avait donné.

ROSA : Je connais un cas d’un don qui a été fait par une association. Cette association a fait signer un document en disant que le témoignage allait être donné à la BDIC, mais ce document qui a été signé par le témoin est tellement simple qu’en fait il donne tous les droits. Pour moi j’ai des scrupules et c’est moi-même qui me mets les barrières et les limites de l’exploitation de ce document. Et c’est ça, parfois, avec enthousiasme que les gens font de bonne foi des du tout compte à quoi les témoins sont en train de s’exposer.

ANNE LAURE : Dans la majorité des cas, les personnes qui collectent des mémoires sont très attentives aux droits du témoin. Que ce soit un droit d’auteur s’il est en train de conter quelque chose qu’il est en train d’imaginer lui-même ou s’il est en train d’interpréter une chanson et qu’il a un droit d’interprétation ou s ‘il est en train de raconter sa vie. Celui qui collecte est souvent très conscient qu’il doit protéger son témoin, quel que soit le fondement juridique de la protection et c’est lui qui va mettre les barrières, protéger le témoin contre lui-même et protéger le témoin des  utilisateurs. Il ne s’agit pas non plus que celui qui collecte protège le témoin des utilisateurs de façon,  «  abusive ». Mais le témoin dans la mesure où il a accepté de témoigner sera peut être satisfait et ravi que son témoignage soit porté à la connaissance d’un public plus ou moins large. Ce n’est souvent pas tant  le témoin que celui qui collecte qui restreint, qui met les verrous, qui va freiner la diffusion. C’est souvent parce que celui qui collecte ne s’est pas occupé au bon moment de renseigner le témoin sur ce qu’il allait être fait de son témoignage et d’obtenir les autorisations ad hoc. Si celui qui collecte se prépare à la collecte en se disant «  je sais que je veux collecter des témoignages de ma famille, ou de la ville dans laquelle j’habite, ou de cette communauté ou de cette entreprise, qu’est ce que j’ai envie d’en faire ? » Je sais que c’est pour moi, ça m’intéresse, mais est-ce que j’aimerais que d’autres personnes puissent utiliser ça, d’autres chercheurs, d’autres personnes intéressées par les récits de famille. Moi j’aimerais savoir jusqu’où ça peut aller comme utilisation, mais est-ce que d’autres personnes pourraient être intéressées par ce que je vais collecter ? Ce futur collecteur doit anticiper, se dire : moi je veux bien aller jusqu’à cette utilisation là. 9a va être sur internet, il faudra se faire reconnaitre et on pourra consulter tout ce que j’ai collecté. Ce collecteur sait lui-même ce qu’il va permettre ; Mais il faut aussi qu’il interroge le témoin sur ce que le témoin va permettre. Et c’est leur autorisation à tous les deux, leur autorisation délimitant un type d’utilisation cohérent, commun, qui fait que ça pourra être réutilisé derrière. Si le collecteur ne se pose pas toutes les questions en anticipant et se dit « je collecte parce que c’est ma mission ou ça m’intéresse », comme il sait qu’il a la main, puisqu’il aura les supports, il pourra toujours freiner. Mais c’est dommage.

ROSA : Le problème est que nous « collectons les collectes ». Il faut intervenir en amont et en aval, quand les choses sont toutes faites, et établir certaines règles, plutôt des règles éthiques. Je pense que dans la pratique c’est toujours utile.

ANNE LAURE : Quand un service d’archives collecte ?

ROSA : Disons que dans mon cas, nous collectons les travaux des autres sites et parfois quelques travaux de collectes d’association, quelquefois une ou deux personnes, mais c’est une association. Justement dans l’enthousiasme de cette collecte, malgré les textes que nous avons donnés pour signer, ils disent « ah non c’est trop compliqué » et ils ont fait des textes tellement simples qu’ils exposent les témoins à une utilisation subversive. Heureusement, dans notre cas, ça ne va pas se faire, mais ça aurait pu être. C’est une question de responsabilité institutionnelle.

ANNE LAURE : Plus exactement, je dirais, une règle de base que ce soit une autorisation obtenue auprès d’un auteur ou auprès d’une personne au titre de sa vie privée, la règle c’est que l’autorisation donnée par le témoin, doit être la plus précise possible. Elle doit indiquer la durée, le territoire, le contexte, est-que c’est une autorisation gracieuse ou pas et tous les types de supports et modes de  diffusion qui sont acceptés par ceux qui accordent leur autorisation. Si on rédige une autorisation très très simple et qu’elle semble nous permettre de tout faire, l’autorisation n’est pas valable, parce qu’elle n’est pas asse précise. Un exemple : si on obtient d’un témoin une autorisation disant « vous pourrez tout faire sans limite de temps de mon témoignage », c’est trop flou. La loi, et donc les tribunaux considèrent que la personne n’a pas été suffisamment informée du type d’utilisation qui allait être faite et donc c’est une utilisation qui n’est pas valable. C’est bien parce que ça protège ; ce principe affirmé par la loi et respecté par les tribunaux fait que pour des personnes qui voudraient obtenir des autorisations un petit peu globales et trop floues, pour leur permettre de tout faire, ça ne marche pas. Ils sont obligés d’être très précis et à ce moment là ce sera validé par les tribunaux, s’il y avait un procès, si c’est imprécis, il n’y a pas d’autorisation. L’autorisation n’est pas valable. On va avori des exemples de documents contractuels, mais on ne peut pas se contenter de documents trop flous, trop globaux, trop généraux. En tous cas, on ne se protège pas en rédigeant de tels documents.

ROSA : C’est vraiment intéressant, parce que quand il y a plus de cinquante personnes qui ont signé le même texte et que nous sommes conscients mais ne pouvons pas y revenir parce que ce n’est pas nous qui avons fait la collecte et donc c’est nous qui mettons les barrières, on le fait de toutes manières.

ANNE LAURE : Et dans ce cas là vous allez assurer une diffusion la plus restreinte ou en tous cas la plus protectrice  possible des droits de ces personnes.

ROSA : Absolument.

ANNE LAURE : En vérifiant par exemple que la personne qui veut consulter l’archive va respecter les droits à confidentialité des témoignages.




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