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Le droit du producteur : le cas des coproductions

Transcription :

 

ANNE LAURE  :Dans le cadre d’une collecte d’entretiens il arrive souvent qu’il y ait plusieurs structures ou plusieurs entités ou plusieurs personnes humaines qui soient à l’initiative de cette collecte. Si elles sont plusieurs il est vraiment important qu’elles s’entendent entre elles sur comment elles s’organisent, comment elles se répartissent les droits sur les résultats de la collecte. Très précisément, lorsqu’on en fait un enregistrement sonore, on ne filme pas, mais on pose des micros devant des témoins, ou lorsqu’on fait un enregistrement audiovisuel, là il ya le micro plus la caméra, on obtient bien un enregistrement : une trace sur  un support de quelqu’un en train de parler, de chanter et qui éventuellement est filmé si c’est un enregistrement audiovisuel. Il existe un droit de propriété littéraire et artistique qu’on appelle le droit de producteur d’enregistrement, qui donne à ce producteur le droit de fermer toute exploitation, toute diffusion de ce master. Même si cette structure qui a produit l’enregistrement a obtenu les droits des témoins, des auteurs, de toutes les personnes, si lui veut stopper la diffusion de l’enregistrement, il en a le droit. Si on est seul, on décide, tout va bien. Mais si on est à deux ou à trois ou à quatre et qu’on ne s’est pas entendu sur qui exerce les droits de production, il y en a peut être un qui va dire « eh mais moi je suis co-producteur, ou c’est moi le seul producteur de ces enregistrements audiovisuels que j’ai financés, ou j’ai participé à l’élaboration de cette collecte et donc moi je vous interdis de diffuser ou je pose des limites ou des freins à la diffusion ». Il est important quand on est plusieurs à soutenir et à financer une collecte de mémoires sonores ou audiovisuelle de s’entendre entre soi sur :  est-ce qu’on exerce ce droit de producteur à plusieurs, donc il va falloir que chaque fois la décision du mode d’exploitation, de la durée de la diffusion, des supports de la diffusion soient pris en commun, ou on fait un contrat de co-production dans lequel on dit, « moi j’apporte le matériel, moi j’apporte des subventions, je finance les salaires des personnes qui… ou je mets mon logo etc. et je reconnais que c’est machin qui a les droits de producteur et je ne les exercerai pas » . C'est-à-dire qu’il est important de formaliser la façon dont les droits de production seront exercés et par qui.

Rosa : C’est très intéressant parce que c’est tout à fait notre cas, par exemple, nous avons travaillé avec l’OFPRA et avec les Archives Départementales du Val de Marne et avec la BDIC. Et nous avions tous les trois des rôles totalement différents. L’OFPRA était celui qui faisait l’entretien avec les Archives du Val de Marne ; Le Val de Marne donnait tous les matériels de production, caméra et caméraman et la BDIC traitait les archives. Donc chacun donnait une part de nature, on va dire, une part de nos fonctions pour pouvoir produire, traiter, exploiter. Et bien sûr tout cela s’est fait avec une convention bien signée par le président de chaque institution : université, archives, OFPRA. Et ce qui est très intéressant aussi parce qu’il faut voir la suite, une archive, une fois qu’elle a été produite, une archive numérique native, qui est chargé de la consultation, de la conservation, et de la pérennisation de cette archive ? Donc il continue à y avoir un investissement. Et  justement il faut avoir une idée bien claire surtout institutionnelle quand on a ce type de démarche.

ANNE LAURE : Oui c’est vrai parce que très précisément, dans ce cas des archives sonores et audiovisuelles, qu’elles soient nativement numériques ou pas –ça peut être des films qui ont été faits en super 8 ou autre et qui sont après numérisés- ceux qui ont financé l’enregistrement, qui ont vraiment participé, comme tu le dis, qui ont investi ou fourni le matériel, chacun d’eux va pouvoir revendiquer un droit de producteur et, en qualité de co-producteur, participe à la décision de ce qu’on fait de ces archives. Est-ce qu’on les verse, est-ce qu’on les donne, est-ce qu’on les dépose et qu’est ce qu’on va en permettre. Quelque chose qu’on verra plus tard : la nature juridique du producteur ou des producteurs sachant que ce sont des structures de droit public ou des structures de droit privé, ce statut des co-producteurs va déterminer le destin de ces archives. Si ce sont des co-producteurs de droit public, les archives vont très vraisemblablement dans la plupart des cas être des archives publiques et vont être consultables et réutilisables selon des règles qui sont fixées par la loi française, le code du patrimoine. Si en revanche les co-producteurs sont de droit privé, des entreprises ou une association ou des particuliers, dans ce cas là les archives sont des archives privées et suivent un autre régime de consultation et de réutilisation. Donc, effectivement, la nature des structures productrices intervient dans le destin, dans la vie de ces futures archives.

Ces personnes ou ces structures qui produisent l’enregistrement sonore ou l’enregistrement audiovisuel, vont pouvoir faire valoir leur droit voisin de producteur sur l’enregistrement pendant une durée limitée. C’est un peu comme le droit d’auteur, le droit d’auteur a une durée limitée. Le droit patrimonial d’auteur, toute la vie de l’auteur et 70 ans après sa mort. Le droit patrimonial du producteur audiovisuel dure (il n’y a pas de notion de vie ou de mort, parce qu’il n’y a pas de personne ici, c’est le producteur qui est supposé une entité économique,) le producteur ou les co-producteurs vont pouvoir revendiquer leurs droits voisins de producteur sur l’enregistrement audiovisuel pendant 50 ans après la première diffusion de l’enregistrement. Supposons qu’un enregistrement audiovisuel, une vidéo ait été tournée, en 2015 et qu’elle soit mise en  ligne sur une plateforme, sur internet, en 2016, c’est cinquante ans après 2016, donc en 2066, disons jusqu’en 2066 inclus les co-producteurs détiennent le droit voisins de co-producteur et donc peuvent dire « écoutez vous ne téléchargez pas, vous ne streamez pas ». En revanche au 1er janvier 2067, le droit patrimonial des co-producteurs tombe et l’enregistrement tombe dans le domaine public au  sens des droits voisins,  il reste peut être des droits d’auteurs ailleurs. Mais les producteurs n’ont plus de droit patrimonial sur l’enregistrement. Donc il n’y a plus d’autorisation à demander et éventuellement rien à payer à ces co-producteurs.

ROSA : C'est-à-dire que les extraits d’entretiens qu’on peut mettre dans une bibliothèque numérique… l’extrait, on ne parle pas de tout l’entretien, l’extrait d’entretien que généralement on fait pour pouvoir attirer un peu les lecteurs pour la consultation ?

ANNE LAURE :ça c’est une autre question. Le droit du producteur porte sur l’enregistrement dans sa globalité. Supposons qu’un particulier aille enregistrer des personnes de sa famille. Il en tire deux heures d’entretiens. Ayant lui-même tourné cela avec sa caméra, c’est lui qui a l’initiative de ses enregistrements, de ses films, il est producteur audiovisuel. Même si il n’a pas pignon sur rue il est juridiquement producteur audiovisuel, il a les droits de production audiovisuelle sur ces enregistrements, et donc personne ne peut utiliser ces enregistrements audiovisuels sans son accord pendant cinquante ans à partir du moment où il les aura diffusés.  Cela n’empêche pas que par ailleurs il faut respecter les droits du témoin, les droits du réalisateur si c’est quelqu’un d’autre, mais en tous cas en tant que producteur il a un droit pendant cinquante ans à partir du moment où il a diffusé en ligne ou par DVD par exemple les enregistrements. Ce que je veux dire c’est qu’avant les cinquante ans personne ne peut utiliser les enregistrements, mais après les cinquante ans tout le monde peut les utiliser, toujours sous réserve du droit des témoins, des auteurs. Mais le producteur n’a plus rien à dire.

Les cinquante ans après la première diffusion, c’est la durée de protection du droit du producteur sur un enregistrement audiovisuel. Les producteurs d’enregistrements sonores se voient reconnaitre une durée de protection qui est un peu plus longue, ça vient de ce que les producteurs de disque on fait du lobbying auprès de la commission européenne et dans tous les états de l’union européenne depuis, les producteurs sonores ont une durée de protection plus longue que les producteurs audiovisuels qui est de 70 ans après la première diffusion de l’enregistrement. Si je mecontente d’un enregistrement sonore, en tant que producteur, je peux décider de diffuser cet enregistrement par exemple en CD, en DVD ou sur internet, et pendant 70 ans c’est moi qui ai les droits de producteur et au bout de 70 ans je n’ai plus aucun droit. IL faudra peut être que les utilisateurs respectent les droits des témoins ou des auteurs, mais moi je ne pourrai plus rien dire. Alors que si je suis producteur d’un enregistrement audiovisuel, donc avec image, image animée et avec ou sans son, en tous cas avec  image animée, je n ‘ai que cinquante ans de protection. C’est une petite curiosité qui procède de la logique des industries culturelles et qui a peu à voir avec les collectes de mémoires.

Les producteurs qu’ils soient producteur d’enregistrements sonores ou audiovisuels n’ont aucun droit moral, à la différence des auteurs. Ils sont considérés comme étant des entités économiques. Ils ont soutenu financé un enregistrement en payant les gens qui tournent, qui filment en payant le matériel, même si il y a des personnes physiques souvent  qui sont productrices derrière, en droit on ne les prend pas en compte donc il n’y a pas de droit moral de producteur. Le seul droit que peut faire valoir un producteur c’est « vous devez demander mon autorisation pendant une certaine durée : cinquante ans, ou soixante dix ans ». Et dans l’autorisation qu’il faut obtenir de ce producteur, on va retrouver les mêmes informations exigées par la loi que pour les auteurs : pendant combien de temps l’utilisateur veut-il utiliser l’enregistrement, sur quel territoire, sur quel type de support, dans quel contexte, lucratif, pas lucratif, publicitaire commercial, pédagogique, et est-ce que l’utilisation est accordée par le producteur à titre gracieux ou moyennant finance. On verra des exemples de ces documents contractuels portant sur des enregistrements un peu plus tard.




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